4
Je vis dans une vallée au milieu des routes
Au cœur de communes encollées les unes aux
autres
Une longue zone urbaine et industrielle
Traversée par le fleuve, la nationale et l’autoroute
Pas de sentiers, ni de chemins
Sauf le dimanche près de l’étang municipal
Les espaces verts sont secs et les arbres envahis
de lierre
Il faut prendre la voiture pour trouver la forêt, les vergers, les villages
Les routes résonnent
Elles sont le poumon de la vallée
Le clapot des jours
Le chant du matin
La berceuse du soir
Les deux roues pétaradent aux ronds-points
Les trains de marchandise cornent sans s’arrêter
On se gare devant le tabac sans couper le
moteur
Les cloches carillonnent les heures
Les courants d’air sifflent sous les portes
19
Ici rois et reines ont fait halte
La Renaissance et des poètes ont laissé des
traces
Si des fantômes pouvaient témoigner, les écou-
terait-on ?
Plateformes et usines ont remplacé châteaux et
remparts
Puissants vaisseaux amarrés aux collines
Nourris par le fleuve dont ils aspirent et recra-
chent les eaux
Enlacés de tuyaux et de cylindres
Ils étincèlent
Des fumées blanches s’échappent
Blanches et infatigables
Puissants vaisseaux sans sommeil
Dans leurs ventres les matières se fabriquent
A leurs pieds fourmille la main d’œuvre
Va-et-vient continu entre les portes des ateliers
Les machines et les stocks
Les turbines et les sas de sécurité
Ici on produit tout
J’imagine ces vaisseaux s’ébranler et quitter
leurs attaches
Entraîner avec eux comme des nappes, les mai-
sons, les routes
Les champs, les arches, le fleuve
Et laisser derrière eux une nouvelle terre à
habiter
20