Je sens pourtant que je pourrais être
une virgule,
que mes exclamations pourraient participer à la
beauté noire des phrases…
Tous les jours, je me regarde dans la glace et je me
sens oiseau sans plume, singe sans poil, ver nu et
vertical, sans ponctuation.
Tous les jours je gratte autour du trou.
Je fais un silence qui ressemble à un poisson, je
fais le cheval me tapant sur la cuisse, je fais une
tête de crapaud, je me baigne dans les mares, je
me mets en poil, je lape, je tête, je vole, je broute,
je pisse, je me fais poser un arbre sur la tête, je me
couche dans les niches, je mange la boue, les
herbes, les graines, je renifle l’empreinte, la
merde et la brise, je grogne, je miaule, je siffle, je
crie, je galope, je griffe, je gratte autour du trou…
Mais rien ne peut concorder avec mon petit gouf-
fre intérieur.
Jusqu’à ce qu’un matin, je regarde à la télévision
un documentaire sur les girafes…
Au Niger, il y a, à une centaine de kilomètres de
Niamey, un troupeau de girafes en liberté, dit le
poste, les dernières d’Afrique de l’ouest…
Tandis qu’on les voit courir, leur cou en se balan-
çant donne l’illusion d’un ralenti, elles tournent
autour des acacias comme un élancement de dou-
ceur. Elles dansent je me dis…
Elles dansent !
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