1 - UN HOMME TRANQUILLE
O'WELL : On me veut.
Je cours pour rentrer chez moi avant l’orage
mais un éclair dans la poitrine m’oblige à
demeurer une main sur la poignée
A contempler la mousse répandue sur les pier-
-res plates, tandis que je souffle.
Les gouttes martèlent les dalles et la force de
l’averse affole les bêtes rampantes qui s’échap-
-pent des recoins vers des abris plus secs
Je suis trempé.
La pluie s’écrase sur mon cou, brise ma nuque,
coule dans mon dos et dévale la pente saillante
de mon corps.
Elle ruisselle par terre, entraîne avec elle des
débris de toutes sortes vers le caniveau de la
rue en même temps qu’elle y verse le butin
invisible de quelques cheveux cassés tombés
sur mes épaules, quelques cellules fanées, de
vieilles bribes de moi.
Ma chair rejoint l’égout
Là où murmurent les bêtes aux ventres gonflés
d’eau.
Elles peuvent désormais exhiber des parcelles
de moi en preuve d’existence au peuple du
dessous qui attend que je vienne pour mâcher
mes os creux et me rendre comme eux.
Absorbé par eux.
Ma chair rejoint l’égout
Elle se fait souterraine
Liquide, obscure
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Luisante.
Je me vois mêlé aux flaques d’argile qui tapis-
-sent de jaune les sols, frappent les carreaux et
introduisent leurs doigts visqueux à l’intérieur
des fenêtres des gens
Des gens qui me regardent devenir cascade et
déchiré.
Devenir flotte et cailloux bruns pulvérisés con-
-tre leurs vitres.
Ma nuque écartelée reçoit la douceur de cette
eau qui entre en moi par tous les grains du
corps et forme des rigoles dans chaque pli de
ma peau que tu pourras laper si tu veux
On me veut.
Je rentre chez moi quand un inconnu se jette
sous un porche dès que je me détourne.
Je me retourne parce que je sens l’appui de son
regard à l’envers de ma tête nue
Ce qui m’oblige à ployer
A mettre une main au sol
A entrer mes deux pouces dans la boue grasse
Tellement ses yeux insistent
Tellement sa curiosité intrusive me projette par
terre mieux qu’une giclée de grêle.
Fléchi comme un mendiant qui demande sa
journée, la tête ramassée de peur qu’on lui
refuse, c’est dans cette posture que tu me trou-
-verais si tu passais me voir.
Deux genoux contre le bois de ma porte
Les os lavés de pluie.
Forcé de regarder le sol qui m’indiffère
J’attends que ça passe.
Je palpe l’endroit du cœur, ramasse mon cha-
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